ASSOCIATION pour la DÉFENSE du PATRIMOINE COMMUNAL du pays d'Annot (04240)





Les souvenirs heureux, émouvants ou sinistres
HISTOIRE DE ROSE GOUJON
Le quartier du Coulet, appartient au vieil Annot, même s’il n’est pas des plus anciens ; il fut édifié à partir du XVIème siècle ; il comprenait une majorité de granges et d’écuries à l’architecture inter-communicatives (c'est-à-dire que les foyers et maisons communiquaient de l’un à l’autre, sans doute pour des raisons de stratégie défensive ; ce quartier se délabra au cours du 19ème siècle où il ne fut plus occupé que par des gens très pauvres, paysans et petits artisans.

Au début du XXème siècle, il comprenait déjà un grand nombre de maisons délabrées ; décidément les gens aisés d’Annot, bourgeois et commerçants préféraient résider dans la grand-rue, la basse-rue ou le quartier de l’église et surtout dans les quartiers neufs aux belles villas, comme l’avenue de la Gare.

A partir de 1920, son centre était écroulé et son niveau de ruines atteignait celui du premier étage des maisons écroulées ; c'est-à-dire qu’il faut s’imaginer aujourd’hui, si nous étions par exemple en 1950 que nous serions environ 4 mètres plus haut ; ce qui a été le cas jusqu’en 1986 lors des travaux de démolition des ruines et bâtiments restants, car il restait encore trois maisons intactes qui ont été abattues pour la construction du bâtiment neuf.

Quant aux maisons sur le pourtour de ces ruines, elles étaient quasiment toutes habitées. À propos de ce quartier en ruines, nous allons faire un retour en arrière avec une très belle histoire, réelle bien entendu, émouvante et merveilleusement symbolique qui vient étayer mon récit.

En 1914, quelques mois avant la mobilisation, la quasi-totalité du 7ème bataillon de chasseurs alpins de Nice, soit environ huit cents soldats, étaient en manoeuvre à Annot.

En ce qui concernaient les sous-officiers et officiers, ils furent logés chez l’habitant ; quant aux hommes de troupe, ils logeaient dans les diverses granges et greniers du village, ainsi que dans toutes les fermes des environs du pays.

Le Coulet abritait encore quelques granges intactes dont l’une fut réquisitionnée pour donner refuge à une escouade d’une quinzaine d’hommes, commandés par un caporal.

Ces jeunes recrues, âgées à peine d’environ 20 ans étaient devenues depuis quelques mois les mascottes du quartier où les habitants les invitaient souvent à partager l’ordinaire de la soupe. Il faut se souvenir que les chasseurs alpins étaient à l’époque les "chouchous" des civils et que l’uniforme bleu-marine, la grande cape, la canne en buis et surtout l’immense béret (la tarte) étaient chers aux coeurs des Provençaux, et que cette armée était, de Nice aux grandes Alpes, la seule à défendre le pays contre l’ennemi Prussien.

Ce fringuant uniforme n’était donc sans doute pas pour déplaire aux jeunes filles d’Annot, qui effectuaient volontiers les corvées d’eau à la fontaine et de lessive au lavoir afin de voir, ne serait-ce que de loin, les jeunes appelés ; tout ceci bien entendu dans la plus totale correction, car n’oublions pas qu’à l’époque, les jeunes gens vouvoyaient les jeunes filles et que le tutoiement était réservé aux parents et amis d’enfance ; mais peut-on refuser un sourire à de jeunes hommes qui vont défendre bientôt le pays et peut-être y perdre la vie ?

Une jeune fille adolescente d’Annot, dont le père était berger Rose Goujon, aimait en sortant de l’école des bonnes soeurs , jouer avec ses amies dans ce Coulet qui l’avait vu naître, à 20 mètres de là, dans la basse-rue.

Elle connaissait tous les jeunes soldats et les saluait timidement.

Nous étions le 1er aout 1914, journée à jamais marquée au fer rouge. D’un coup de baguette magique, nous replongeons 110 ans en arrière et nous écoutons la petite Rose. ROSE : Bonjour, je m’appelle Rose Goujon et mon père est berger, il s’appelle Jòuselou….

Notre famille est pauvre, comme presque tout le monde à Annot…mais nous avons l’habitude…

Nous mangeons souvent de la soupe de lentilles avec du lard, ou bien des pois-chiches et du fromage de chèvre que maman fabrique…

Pourtant ce samedi et dimanche ne sont pas des jours ordinaires ; c’est la fête du Secours Mutuel à Annot avec la Bravade.

La bravade, ce sont des annotains qui revêtent des costumes de l’Empire pour les fêtes et défilent en se remémorant le souvenir de nos rares aïeuls qui sont rentrés sains et saufs de ces campagnes napoléoniennes.

Donc, pour la fête, nous allons manger du poulet, que nous avons tué hier et j’adore cela, peut-être parce qu’on n’en mange pas souvent. Parfois pour la fête, maman fait de la daube avec des gnocchis, mais il faut acheter la viande chez le boucher M. Pellegrin, dans la grand-rue.

Aujourd’hui, c’est le premier aout 1914 et nous sommes samedi.

Depuis plusieurs mois, nous avons des chasseurs alpins qui font des manoeuvres à Annot, car tout le monde dit que la guerre ne va pas tarder. Il y a une troupe qui reste au Coulet dans une grange ; les pauvres, ils dorment dans le foin ; on les voit sortir le matin pour aller aux exercices ; ils sont très gentils.

Aujourd’hui, c’est la fête à Annot ; maman m’a promis de m’emmener au bal à cinq heures, cet après-midi, car j’ai 15 ans et c’est mon premier bal ; j’espère qu’on va m’inviter et que maman acceptera…

Ah ! C’est Midi, maman ne va pas tarder à m’appeler pour mettre la table.

MAMAN : Rosino, qu’s que mète lou taulié ? (Rosine, qui c’est qui met la table ?)
ROSE : L’avieu bèn dich ! (Je l’avais bien dit)
ROSE : Mon Dieu, c’est le tocsin…….maman, le tocsin, la guerre, la mobilisation…..
ROSE : Tous ces gens qui s’affolent ! Qu’est ce qu’on va devenir ?
ROSE : C’est le clairon qui sonne le rassemblement…
ROSE : Mon Dieu, les militaires qui sortent de la grange, ils vont vers la place….
ROSE : Ah………… !!!!
ROSE : Malheur, la grange s’est écroulée, ils auraient pu mourir, écrasés par la maison ; ils sont sauvés, merci mon Dieu…..

La pauvre petite Rose ignorait qu’une autre mort atroce les attendait, certes plus glorieuse, mais plus épouvantable, puisque donnée par un autre être humain….

La guerre était déclarée, la fête à Annot fut annulée ainsi que toutes celles pendant la guerre et Rose dut attendre la fête du secours mutuel de 1919 pour connaître son premier bal….

Merci Rose de nous avoir laissé ce merveilleux souvenir du quartier du Coulet……
Récit réel

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