ASSOCIATION pour la DÉFENSE du PATRIMOINE COMMUNAL du pays d'Annot (04240)





Le miracle de Sainte Anne à Entrevaux

La fin de l'année 1954 est employée, en dehors de l'exploitation de la cave-crypte de la rue basse qui poursuit sa carrière juteuse, à la réalisation du film intitulé tout bêtement : "Les faits miraculeux d'Entrevaux" par un cinéaste inconnu, Alberto Mantica, né en Italie, qui ne dispose que de très peu d'argent et d'encore moins de talent.

Or, en ce domaine, il n'y a pas de miracle, c'est le cas de le dire : petit budget, petit film, petit public, règle d'or hollywoodienne qui ne souffre aucune exception.

Confiez l'histoire d'Entrevaux à Cécil B. de Mille, et ce sera un triomphe.

Mantica fait ce qu'il peut et sa production sort le 29 novembre 1956 au Colisée Gaumont, 38, avenue des Champs-Élysées, mais ne remporte qu'un succès d'estime, comme on dit pudiquement pour masquer un bide monstre. Même résultat au cinéma Astor, 12, rue Montmartre, où le bide est encore plus absolu.

Pourtant, cet insuccès, qui pourrait être désastreux, permet à Da Vinci de constituer son fameux comité de patronage.

Cela consiste à chercher une brochette de personnages qui n'y connaissent rien, mais sont suffisamment enrubannés de titres et de fonctions pour imposer le respect et donner à l'œuvre patronnée les dimensions d'un événement.

Il suffit d'avoir la langue bien pendue, un don de persuasion développé et un motif hautement philanthropique.

Da Vinci a tout cela dans sa musette et peut un jour réunir chez Drouant, au su et au vu de la presse, un véritable aréopage : l'amiral Lacaze, l'ambassadeur de France Louis de Robien, l'ancien ministre Rivollet, l'écrivain José Germain, et quelques nobles dames patronnesses du 16ème arrondissement.

L'amiral Lacaze a tout de même demandé timidement : "Quel est le motif hautement philanthropique ?"

A quoi Da Vinci répondit sous les applaudissements de l'assemblée : "Redonner à l'humanité souffrante la foi et l'espoir en la guérison de son âme malade.".

Triomphe assuré dans les salons du boulevard Saint-Germain et les cénacles de Saint-Germain-des-Prés, ce qui comble de joie le tandem Da Vinci-Salvadé désormais lié pour le meilleur et pour le pire. Le pire étant toujours à venir.

Ces bonnes nouvelles compensent heureusement des nuages qui commencent à traîner dans le ciel d'Entrevaux, car la fin de l'année 1954, malgré les pancartes, malgré les cierges, ne tient pas les promesses de ses débuts.

Essoufflement, lassitude, usure des sentiments humains, aucun n'échappe à l'érosion du temps.

Moins d'adorateurs et par conséquent moins de généreux donateurs, ce qui est grave. Le doigt de sainte Anne est sans doute complètement cautérisé, puisqu'il n'a pas saigné depuis son installation dans la châsse-vitrine, confirmant le sourire sarcastique, venimeux et entendu de Richer, le secrétaire de mairie.

Heureusement que les collègues de sainte Anne veillent au grain dans le panthéon des élus, et le coup de tonnerre qui va sauver la situation éclate au début de l'année 1955.

Les journalistes de Paris-Presse, de Nice-Matin et de Paris-Match n'ont pas oublié Tropini et ses appareils. Bien sûr l'œil scrutateur des rayons X n'a décelé aucune des tubulures que subodorait Richer, ni aucune supercherie, bien sûr que le sang miraculeux était du sang humain, mais encore.

Les rationalistes au cœur de pierre n'ont pas dit leur dernier mot.

Ils examinent à la loupe les clichés du docteur Tropini et en avalent leur râtelier, car le dessin remarquablement net qui apparaît sous leurs yeux, est, tenez-vous bien, celui du Christ, celui du Sauveur, celui de Jésus de Nazareth mort sur la croix et ressuscité trois jours après. On se pince pour savoir si on ne rêve pas.

Non, on ne rêve pas. Le visage qui s'étale sur la pellicule, d'une incroyable netteté est bien celui qu'une tradition populaire et une riche iconographie ont portés jusqu'à nous. Invraisemblable, insupportable et impressionnant.

Alors que sainte Anne a le visage lourd, quelque peu boursouflé, les yeux ronds un tantinet inexpressifs, celui qui apparaît est un visage fin, sans conteste un visage d'homme aux pommettes creuses, aux yeux mi-clos, terminé par la célèbre petite barbiche.

La tête est inclinée sur le côté gauche, avec une expression de tristesse et de miséricorde infinie.

L'incroyable nouvelle sera publiée le 1er janvier 1955, dans le N° 300 de Paris-Match, où paraît sur la double page 66 et 67 presque grandeur nature, l'une des photographies les plus sensationnelles de ces dernières années. Le journaliste n'y va pas par quatre chemins et titre : "Sous les rayons X, le visage de la sainte devient celui du Christ".

Coup de tonnerre est un faible mot. Le journal doublera ses ventes et Marcel Le Breton, directeur-gérant dira : "Nous faudrait un truc comme ça tous les mois !"

Richer tombera malade une bonne semaine, ne sachant plus à quel saint se vouer et Jeanne tapissera tout un mur de l'Auberge avec les exemplaires de Paris-Match.

Cependant, le plus important ne s'est pas encore manifesté, il ne se manifestera que le dimanche suivant, et ce sera le cinquième miracle d'Entrevaux.

Haut de page